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Sommet Mondial de la Société de l'Information : OMC et OMPI invités d'honneur

Introduction

Du 15 au 18 juillet 2003, se déroulait au siège de l'UNESCO à Paris l'intersession du Sommet Mondial de la Société de l'Information (SMSI).

L'objectif du SMSI est de «déboucher sur l'élaboration, d'une déclaration d'intention politique claire et d'un plan d'action concret pour que la société de l'information puisse atteindre les objectifs qui sont les siens, compte dûment tenu de tous les intérêts en jeu. La portée et la nature de cet ambitieux projet nécessiteront l'établissement de partenariats stratégiques avec des entités des secteurs public et privé» (voir http://www.itu.int/wsis/basic/about-fr.html, partie "Résultats").

Les participants au SMSI sont donc:

  • les gouvernements;
  • les entreprises;
  • la société civile.
Notons que c'est la première fois que la société civile est officiellement partie prenante d'un tel évènement ONUsien (voir au sujet de la société civile le message d'Hervé Le Crosnier), mais c'est également la première fois que les entreprises y sont officiellement présentes également (l'initiative privée n'est pas un problème en soi, bien au contraire, pourvu qu'elle soit encadrée par un pouvoir politique fort).

Du côté du logiciel libre, la FSF (Richard Stallman) et la FSF France (Frédéric Couchet) participaient à cette intersession en tant que membres du groupe de travail PCT (Patents, Copyright, Trademarks). Merci à Francis Muguet pour son aide. Georg Greve de la FSF Europe était présent également, dans la délégation allemande.

Intersession

L'objet de l'intersession était d'amender les deux documents de référence du SMSI :

  • "Declaration of Principles"
  • "Action Plan"
Ces documents sont disponibles à l'adresse suivante : http://www.itu.int/wsis/preparatory/prepcom/intersessional/index.html). Ce travail étant effectué à partir des diverses contributions envoyées avant l'intersession, les séances plénières qui durent une grande partie de la journée, les groupes de travail créés spécifiquement à l'occasion, et les discussions de couloir.

Les deux documents de références contiennent les contributions des gouvernements, des représentants des sociétés commerciales et des diverses ONG (dite société civile). L'idéal étant que nos préoccupations soient présentes au final dans le document des gouvernements.

Pas mal de décisions sont prises lors des plénières. Le principe est relativement simple. Tous les articles des deux documents sont passés en revue un par un et discutés. Les représentant des gouvernements ont un temps de parole très important et libre, alors que les représentants des ONG ont un temps plutôt limité (20 minutes environ chaque matin) et le nombre des interventions est fixé.

Résumé

Le déroulement des discussions et l'état des textes nous laissent avec un sentiment de déception et de frustration.

Sur la forme, On peut noter une absence quasi totale d'ouverture de la part des délégations gouvernementales concernant les contributions de la société civile (alors même que les contributions des entreprises recueillent une oreille très attentive de la part des délégations gouvernementales). En effet, les ONG n'ont pas directement voix au chapitre mais leurs remarques peuvent être intégrées dans leurs positions par les gouvernements une fois que ceux-ci sont arrivés à un consensus entre eux. Seulement, une fois les gouvernements d'accord entre eux, intégrer des contributions de la société civile reviendrait à remettre en cause le consensus obtenu...

Bref, dès le départ le débat est biaisé.

Sur le fond, l'état actuel des textes et des discussions montre que la société de l'information sera avant tout basée sur le commerce et la restriction des libertés. Les documents et la plupart des interventions insistent sur la priorité absolue qu'il faut donner au commerce et à la concurrence par rapport à tout le reste (nécessité de développer les TIC dans les pays en voie de développement, de mener des projets d'alphabétisation à l'aide des TIC, diversité culturelle...). L'OMC n'est pas officiellement présente, mais son idéologie est présente.

A la date de l'ouverture de l'intersession, les documents font également référence à l'importance du droit d'auteur (le vocabulaire utilisé est IPR pour "Intellectual Property Rights", terme à éviter. Sans doute pas suffisamment au goût de certains (comme par hasard, les États-Unis et les représentants des multinationales). La version actuelle de la "Declaration of Principles" loin de prétendre édifier une société de l'information basée sur les droits de l'homme et sur l'équilibre entre auteurs, utilisateurs et intérêt public, brise l'équilibre entre le droit des auteurs et le droit des personnes à jouir des oeuvres. Le document ne mentionne même pas les auteurs, mais les titulaires de droits. L'OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) n'est pas officiellement présente, mais son idéologie est bien présente.

Les représentants des gouvernements (pour certains) et des entreprises tentent également de mettre sous le tapis certains points clés pour un partage harmonieux des connaissances, des créations et des technologies et l'instauration d'une libre concurrence réelle entre tous les acteurs du marché. Certains tentent ainsi de réduire le logiciel libre à un simple modèle de développement économique, niant ainsi les travaux de chercheurs tendant à démontrer que, pour certains types de biens, dont les immatériels, les considérer comme communs et définir des mécanismes de partage permettant à tous de les utiliser et de les améliorer produit de meilleurs résultats. Certains "gros mots", comme l'interopérabilité qui nous est chère, doivent également être gommés des documents finaux.

Pour résumer l'état des lieux on ne peut que constater que les deux grands vainqueurs de cette semaine sont bien l'OMC et l'OMPI. Non présents officiellement mais bien présents dans les textes et les prises de positions des délégations.

Interventions

Pour illustrer notre propos, laissons la parole aux représentants de la CCBI (Coordinating Committee of Business Interlocutors représentants des multinationales). Après tout, ils résument très bien leurs positions.

Intervention du 15 juillet :

«1. ...it is essential that TRIPS and the content of the WIPO Treaties be respected and preserved. Finally, issues regarding public domain information and knowledge and indigenous knowledge are currently being addressed in WIPO and should not be addressed in the WSIS.
2. Business believes it is important that the WSIS documents make clear that the promotion of cultural diversity and local content do not create unreasonable barriers to trade.»

«...il est important que les pays non encore signataires de l'accord OMC sur les télécommunications de base de 1997, s'engagent à adopter le «Reference Paper» attaché à cet accord, et présentent des offres constructives et raisonnables à l'occasion du cycle de Doha sur les négociations commerciales sur les services;»

Intervention du 18 juillet :

«7. We believe that it is essential to preserve in the Declaration as a priority references to the importance of trade liberalization of goods and services, effective intellectual property protection, the rule of law and good governance as elements of an enabling environment to attract the private sector investment necessary to bring the global information society to fruition.»

Intervention de l'International Publishers Association (soutenue notamment par la MPA, Motion Picture Association):

«...The fundamental principles underlying copyright in the physical world remain the same in the electronic world. ... Without intellectual property rights, authors, publishers and producers would be deprived of any incentives to create and disseminate content. ... Besides, it should be clarified that, legally speaking, intellectual property does not aim at protecting an idea as such, but only the expression of it, and the corresponding investment in sweat, time and money. ... The action plan should therefore call for copyright awareness and education, high worldwide copyright protection standards (eg: WIPO Treaties, TRIPs). In this respect, discussions should be pursued towards a possible framework for the protection of non-original databases.»

Difficile de faire plus clair non.

Le logiciel libre

Précisons tout d'abord que le terme utilisé dans les documents est majoritairement "open source software" (version anglaise, version originale des documents de travail) ou "logiciels à code source ouvert" pour les versions françaises. L'utilisation de cette terminologie n'est absolument pas neutre tant elle évite le fondement principal du logiciel libre: la liberté.

Avant le début de la session, les deux documents faisaient assez souvent référence au logiciel libre comme choix préférable dans la société de l'information. Pour mettre fin à ce scandale, l'angle d'attaque choisi par les opposants est de réduire le logiciel libre à une simple méthode de développement comme une autre et qui donc n'a donc aucune raison de figurer dans un document tel que le "Declaration of Principles". Cet argument a été à de nombreuses occasions repris à la fois par les divers représentants des entreprises (CCBI) et par la délégation américaine. Souvent mot pour mot. L'idée étant que le SMSI devait rester neutre sur un plan technologique. A l'ouverture de l'intersession, l'article 24 de la "Declaration of Principles" était rédigé ainsi :

«24. Open standards and open source: Open standards and open source software are basic elements in the development of a more affordable access to ICTs.»
La contribution américaine que l'on pouvait trouver dans les documents de référence est :
«It is important to draw a distinction between open source software and open standards. The WSIS documents currently discuss the two issues in a manner that creates confusion. Open standards generally refer to technical standards or specifications that are developed through a well-defined process. Open standards can improve interoperability and may facilitate interactions ranging from information exchange to international trade, thus fostering market competition. Because of these benefits, the use of open standards is encouraged whenever practicable. Open source software is a term used to describe software that is intended to be openly distributable, under a variety of different licensing arrangements. The United States recognizes that open source software can contribute to increased access and diversity of choice but it is only one of many possible models for the development of software. The WSIS documents should not promote one over the other (i.e. open source vs. proprietary), but should instead foster the availability of diverse alternatives and the freedom to choose among those alternatives. In short, the WSIS should remain neutral with respect to different technologies and modes of technology development.»
Plusieurs interventions de représentants de la CCBI reprendront le même argument.

La nouvelle version de la "Declaration of Principles" est finalement rédigée comme suit :

«24A Choice among software applications contributes to increased access and enhanced diversity for users. Multiple software development models exist which help promote this principle, including open source which is a valuable model that supports more affordable access to ICTs.»

Mais finalement, doit-on en être réellement surpris quand on voit avec quel acharnement les défenseurs de l'open source veulent éviter de parler de liberté et de la dimension politique du logiciel libre.

Droit d'auteur

Sur ce point, le terme utilisé est IPR (pour Intellectual Property Rights). Voir à ce sujet http://www.gnu.org/philosophy/words-to-avoid.html#IntellectualProperty.

La encore nous avons assisté 4 jours durant à la sainte alliance des entreprises et de la délégation US, pour faire entendre l'idéologie de l'OMPI. Rejoint pour l'occasion par l'Union Internationnale des Éditeurs. Leur discours étant qu'il faut absolument préserver les IPR, voir les renforcer, car ils sont le garant de l'avenir de la société de l'information.

Le représentant des éditeurs affirmera notamment, sans rire, que les principes qui s'appliquent pour la propriété physique s'appliquent également dans le domaine de l'immatériel. Le groupe des entreprises réclame que les questions de domaine public soient traitées par l'OMPI (organisation mondiale de la propriété intellectuelle) et non par le SMSI. Il dit également que les documents du SMSI doivent indiquer clairement que la promotion de la diversité culturelle et le contenu local ne doivent pas créer de barrière au commerce.

Concernant l'IPA, rappelons que celle-ci ne promulgue pas l'intérêt des auteurs et du public mais uniquement un intérêt privé, le cercle fermé de ses membres. Ce que nous proposons, au niveau du droit d'auteur, va beaucoup plus dans le sens d'un vrai équilibre entre intérêt des auteurs et utilité publique.

Le jeudi après midi, la délégation US propose un nouveau point dans la Déclaration de principes (point 40C):

«Intellectual property protection is essential to the Information Society. Existing intellectual property regimes and international agreements should continuously provide this protection, so as to contribute to this objective, thus promoting the necessary balance between owners and users of intellectual property.»

On notera que la situation actuelle des différents droits et accords doit continuer (et sans doute être renforcée). Et on note que dans la balance, les auteurs ne sont même pas là (les "owners" étant les titulaires de droits). On s'étonne même que les utilisateurs y soient encore.

Dans l'intervention de Claudie Haigneré (Ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies) un passage est intéressant et montre qu'il y a encore du travail de compréhension à faire : «A cet égard, la protection des contenus doit être garantie et un juste équilibre défini entre l'intérêt public et la défense des droits de propriété intellectuelle, qui sont à la base du développement de toute économie. Toute restriction portant sur l'accès aux données numériques doit contenir des exceptions précises ayant pour cadre la recherche et l'enseignement».

Dommage que tous ces gens là n'aient pas assisté aux dernières Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, où le thème juridique leur aurait montré que l'extension actuelle des différents droits est une grave menace pour l'innovation, la concurrence, la liberté d'expression et plus globalement la société de l'information.

OMC

Un autre invité d'honneur était bien entendu l'OMC. Globalement le discours est simple et limpide : la priorité doit être donnée au commerce et la concurrence. Toute autre considération passant après.

Rappelons que l'OMC a été créée en 1994, pour couper les liens officiels avec l'ONU (par rapport au GATT). L'OMC est indépendant de l'ONU et entend dicter sa loi à l'ONU et aux gouvernements. Le SMSI est un sommet organisé par l'ONU.

La règle de fonctionnement et de jugement l'OMC (et notamment son organe de règlement des différents) est basée sur la liberté de commerce et de la concurrence qui devienne la règle générale. Les autres règles (environnement...) deviennent donc des règles secondaires et donc interprétées de façon restrictive.

Et nous dans tout ça ?

Le mercredi 16 au matin, courte intervention de Richard Stallman qui a été particulièrement bien reçue notamment par les représentants de pays africains et d'Amérique du sud.

Un énorme travail d'information pour montrer les contradictions de certains discours et apporter notre vision trop souvent ignorée. Il suffit souvent d'expliquer simplement les dangers de certains discours pour que des consciences s'éveillent. Cela prend beaucoup de temps mais ce travail est indispensable.

Et la suite ?

Bref, tout cela est très noir. Mais comment considérer ces tentatives d'appropriation du bien commun autrement que comme les ultimes soubresauts spasmodiques d'une machine en perte de vitesse qui n'a pas pu s'adapter aux nouvelles règles du jeu, non pas par faute d'essayer mais pas vice fondamental de conception ?.

Que faire ? Continuer ce que nous faisons. Continuer d'aller dans les réunions officielles comme celle-ci, pour y porter la contradiction partout et toujours. Rappelons-nous que ce n'est pas la justice qui fait la loi, ce sont les batailles.

Les prochains rendez-vous sont le PrepCom 3 du 15 au 26 juillet 2003 à Genève, la première phase du sommet proprement-dit du 10 au 12 décembre 2003 à Genève et la seconde phase du 16 au 18 novembre 2005 à Tunis.

Soyons présents pour continuer à dégager des espaces de liberté.

Références

Citation

Pour finir, une citation, datant de 1861, de Jules Dupuit (économiste et ingénieur) publié dans le journal des économistes :

«Pour améliorer le sort de l'homme de lettres digne de ce nom, il faut répandre à profusion la bonne littérature; Il faut que sa lumière, gratuite comme celle du soleil, éclairant et pénétrant les masses, forme un public capable de comprendre et d'apprécier ce qui est bien et ce qui est beau. Ce n'est pas en enfermant nos chefs-d'oeuvre dans les spéculations de l'intérêt privé qu'on y parviendra».

 
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Updated: $Date: 2003-07-27 23:40:27 +0200 (Sun, 27 Jul 2003) $ $Author: wikifr $